De 1905 à 1962, les Chemins de Fer Départementaux du Tarn ont desservi cette région rurale au départ d'Albi et de Castres, avec deux groupes de lignes à l'histoire mouvementée.
Une longue genèse
L'idée de construire une voie ferrée au départ de Castres vers les localités montagnardes isolées de l'est du département remonte à 1871. Une première étude sera réalisée en 1877. Mais il faudra attendre 1891 pour que le Conseil municipal de Castres commence à s'intéresser à ce projet, puis 1893 pour qu'à son tour le Conseil général s'en occupe.
Finalement, le 29 décembre 1900 un particulier, Monsieur Lemonnier, reçoit au nom de la Compagnie Centrale des Chemins de fer, de Tramways et d'Electricité, la concession des lignes de Castres à Murat-sur-Vèbre avec embranchement du Bouissas à Brassac, d'Albi à Alban avec embranchement vers Saint-Juéry et d'Albi à Valence-d'Albigeois.
La Déclaration d'utilité publique est promulguée le 3 avril 1901. Mais en 1902, la Compagnie des Chemins de Fer Départementaux du Tarn (CFDT) se substitue aux concessionnaires initiaux et en 1903 la consistance du futur réseau est légèrement modifiée. L'embranchement de Saint-Juéry est alors remplacé au profit d'une rectification du tracé de la ligne d'Albi à Alban qui desservira désormais directement cette localité fortement industrialisée.
Les travaux peuvent enfin commencer et le calendrier des mises en service des différentes sections s'établit comme suit :
- 1er juillet 1905 : Castres-Midi - Vabre
- 4 avril 1906 : Le Bouissas - Brassac
- 11 avril 1906 : Albi - Valence-d'Albigeois
- 1er juillet 1906 : Vabre - Pierre-Ségade
- 1er janvier 1909 : Albi - Saint-Juéry
- 14 février 1910 : Saint-Juéry - Alban
- 20 mai 1911 : Pierre-Ségade - Lacaune-les-Bains
- 23 octobre 1911 : Lacaune-les-Bains - Murat-sur-Vèbre
Le réseau, dont la voie est à l'écartement métrique, est divisé en deux groupes isolés l'un de l'autre. La longueur totale exploitée est de 139,2 km, dont 75 km pour la ligne Castres -Murat-sur-Vèbre, 12,2 km pour l'embranchement du Bouissas à Brassac, 28,9 km pour Albi - Valence-d-1lbigeois et 23,1 km pour Albi - Alban.
Les lignes d'Albi peuvent être considérées comme un chemin de fer départemental classique, traversant les villes et les villages dans les rues et suivant les routes et les chemins existants, le plus souvent en accotement, en dehors des agglomérations.
Par contre, la ligne Castres - Murat-sur-Vèbre et l'embranchement conduisant à Brassac, possèdent des caractéristiques de lignes de montagnes. Presque entièrement établie en site propre hormis la traversée de Castres et de certains villages, la voie ferrée est en rampe quasi-continue, avec des déclivités pouvant atteindre 40 mm/m afin de racheter un dénivelé passant de l'altitude 172 m à Castres à 903 m au col de la Jasse près de Moulin-Mage. Empruntant des vallées rocheuses étroites et encaissées, la ligne est jalonnée de nombreux ouvrages d'art, ponts, viaducs, tunnels et murs de soutènement. Les sections en alignement sont rares, tandis que les courbes, dont le rayon minimal descend souvent à 100 m, sont légion, le tout dans une région isolée, au climat très rude en hiver.
Une succession d'exploitants
Dès l'origine, les lignes du groupe d'Albi connaissent un trafic important, notamment grâce au trafic des ouvriers travaillant dans les aciéries du Saut du Tarn à Saint-Juéry. Ces dernières étaient alimentées par du minerai de fer provenant des mines du Frayssé près d'Alban, assurant ainsi un trafic marchandises relativement conséquent.
De son côté, le groupe de Castres, au caractère bien plus rural, désenclave le plateau du Sidobre et facilite l'accès à la station thermale de Lacaune-les-Bains. Outre le granit extrait des carrières de Luzières, sur l'embranchement de Brassac, le trafic des marchandises est essentiellement issu des activités agricoles. Ainsi, il existait même un billet de marché spécial, valable pour le voyageur à l'aller et au retour et pour son veau uniquement à l'aller. Et au cas où le paysan n'arrivait pas à vendre son bovidé à la foire de Castres, il pouvait cependant le ramener à la ferme, moyennant le paiement d'un léger supplément.
La desserte de chaque ligne comprenait généralement entre trois et quatre allers-retours quotidiens, avec des courses supplémentaires les jours de foires et de marchés et des navettes pour le trafic ouvrier entre Albi et Saint-Juéry.
Si les premiers autorails firent leur apparition dès 1924, ils ne donnèrent pas satisfaction et n'empêchèrent pas de limiter les frais d'exploitation. Les premiers déficits apparaissent en 1929. Cela amène le département du Tarn à racheter le réseau pour l'affermer à compter du 1er octobre 1933 à la Société des Voies Ferrées Départementales du Midi (VDFM). Ces dernières exploitaient depuis le 15 novembre 1930 les lignes électrifiées Toulouse - Castres et Revel - Castres. Pour assurer la continuité des transports, le nouvel exploitant modifie les attelages en dotant le matériel du système automatique Willison et investit dans l'achat de six autorails Verney. S'ils réduisent fortement les temps de parcours, ces engins ne permettent malheureusement pas de sauver les lignes du groupe d'Albi. Touchées par la concurrence des autocars et la fin de l'exploitation des mines du Frayssé, elles sont fermées le 1er avril 1939. Du côté de Castres, les premières menaces commençaient aussi à se manifester. Mais l'avènement de la Seconde Guerre Mondiale offrit un sursis au train qui rendit alors bien des services à la population.
Après le conflit, l'exploitation fut reprise à partir du 1er janvier 1954 par la Société Auxiliaire pour l'exploitation des Chemins de Fer Secondaires (SACFS). Celle-ci innove dans de nombreux domaines afin de tenter la sauvegarde du train :
- intensification du service voyageurs avec création de courses "express"
- achat d'occasion d'autorails Billard à des réseaux secondaires venant d'être supprimés.
- suppression de la gérance humaine dans la plupart des gares.
- autorails circulant avec le seul conducteur, qui à l'instar des autocars, assure également la vente des billets.
- acheminement des colis par des autorails de "messagerie" spécialement aménagés à cet effet.
- entretien des installations fixes par des brigades mobiles spécialisées à fort effectif et circulant en draisine.
- application de tarifs attractifs
- service des marchandises confié à un locotracteur diesel en remplacement de la traction vapeur désormais confinée à la seule réserve.
Ces mesures remportent un certain succès et on note même une augmentation du trafic. Annuellement, les CFDT transportent 120 000 voyageurs, soit une moyenne de 23 personnes dans des autorails à la capacité de 28 places, ce qui offre un taux d'occupation tout à fait honorable. Entre 1960 et 1961, les recettes venant des voyageurs progressent de 2,23 % et celles des marchandises de 9,88 %.
La fin du petit train
Devant les bons résultats obtenus, la SACFS garde un certain optimisme et effectue des investissements : achat d'un second locotracteur, remplacement massif de traverses, arrivée fin 1959 de deux nouveaux autorails Billard 180D en provenance de Seine-et-Marne.
mais c'était sans compter sur le lobby routier. Le Conseil général ne croyait plus au chemin de fer, jugé d'autant plus rétrograde que le Tarn était le dernier département de la région à encore posséder un "petit train". Malgré des dépenses importantes à effectuer sur le réseau routier pour pouvoir y faire circuler des autocars et des camions, les élus tarnais préfèrent cette solution totalement anachronique. Et le 21 avril 1962, ils votent en faveur de la fermeture du train. Celui-ci cessera donc toute activité au soir du 31 décembre suivant. Le démantèlement est très rapide et est achevé dès le mois d'août 1963, tandis que les autorails Billard, leurs remorques et les deux locotracteurs émigrent en Corse.
Le matériel roulant
A l'origine du réseau, les CFDT ont commandé à la SACM sept locomotives 130T de 19 t à vide et huit autres de même configuration mais pesant 22 t. Bien que moins rapides, ces dernières étaient cependant plus puissantes et donc bien adaptées à la configuration montagnarde des lignes du groupe de Castres. A partir de 1955, elles furent progressivement remplacées par deux locotracteurs diesel CFD à trois essieux, construits respectivement en 1948 et 1950 sur des châssis d'anciennes machines à vapeur pour les chemins de fer du Doubs et l'usine Solvay de Dombasle-sur-Meurthe.
Du côté des autorails, trois Renault Scemia RS firent leur apparition dès 1924. Peu puissants et donc inadaptés au profil difficile des lignes du Tarn, ils ne donnèrent pas satisfaction. Par contre, l'arrivée en 1934 et 1938 des huit autorails Verney SCF fut couronnée de succès. Ces engins unidirectionnels, dotés d'un bogie porteur à l'avant et d'un essieu moteur à l'arrière, étaient fiables et ils permirent d'importantes réductions des temps de parcours. après le second conflit mondial, la reprise de l'exploitation par la SACFS fut marquée par l'achat d'occasion d'autorails Billard. On nota ainsi l'arrivée de quatre A80D provenant de Seine-et-Marne ou de Saône-et-Loire, un A80D2 à caisse étroite, ex-Seine-et-Marne mais qui n'a finalement jamais roulé sur les CFDT, deux A150D6 ex-Pas-de-Calais et quatre remorques R210.
Pour le matériel remorqué, tout le parc était à deux essieux. Sur les voitures voyageurs, ces dernies étaient radiants afin d'obtenir une meilleure inscription dans les nombreuses courbes du réseau. Au nombre de 34, les voitures se répartissaient en trois types : ABve mixte 1ère/2ème classe, DBve mixte 2ème classe/fourgon et Bve de 2ème classe.
Pour les marchandises, le parc comportait de façon classique des wagons plats, des couverts, dont certains faisaient office de fourgons, et des tombereaux, avec en 1936 un total de 222 wagons.
Par ailleurs, le parc de service, s'il ne comptait pas de grue, avait la particularité d'avoir à son inventaire un chasse-neige, qui termina ensuite sa carrière en Corse à l'hiver 1986/1987.
Traversant, surtout pour les lignes du groupe de Castres, des paysages magnifiques, les Chemins de Fer Départementaux du Tarn ont animé pendant plus d'un demi-siècle cette contrée reculée et d'accès difficile, à l'écart des grands axes de circulation. On ne peut aujourd'hui que regretter la disparition ce sympathique réseau secondaire, au potentiel touristique certain qui, s'il avait survécu, aurait pu contribuer à valoriser le patrimoine de cette bien jolie région, souvent méconnue.
Pour en savoir plus sur les Chemins de Fer Départementaux du Tarn, on ne peut que conseiller l'excellent livre de Messieurs Bernard Vieu et Michel Viers "Le Monde du Petit Train". Il est disponible aux éditions LR Presse www.trains.lrpresse.com au prix de 47 €.
Les Chemins de Fer Départementaux du Tarn en photos
Au travers de la collection de photos héritée de Jacques Bazin, qui a parcouru ce secondaire à plusieurs reprises, partons à la découverte en images, de gares en gares, des CFDT.
(les légendes apparaissent en cliquant sur les photos, présentées sous la forme d'un diorama pour chaque gare)
Castres
Roquecourbe
Le Bouissas
Vabre
Lacaze
Pierre-Ségade
Lacaune-les-Bains
Moulin-Mage
Murat-sur-Vèbre
Ferrières
Brassac
Lignes Albi - Alban et Albi - Valence-d'Albigeois