En 1939, les Michelines, autorails dotés de roues avec pneumatiques (pneus-rails), avaient le vent en poupe. Mais leur capacité était très limitée. La toute jeune SNCF a alors décidé de procéder
à des essais afin de constituer des rames rapides et légères de six voitures et de les engager sur les trains les plus prestigieux.
Les tests, utilisant des remorques de Michelines dé-motorisées, ont permis de valider le projet qui se présentait sous la forme de voitures d'une masse d'environ 15 tonnes. Mais la Seconde guerre
Mondiale intervint et il fallu attendre 1948 pour que le train sur pneus voit enfin le jour.
Trois rames ont été construites. Toutes les voitures, dotées de freins à tambour, avaient une longueur de 23,180 m et étaient équipées de bogies à cinq essieux dont les roues possédaient des
pneus-rails fabriqués par Michelin.
Chaque rame comportait six voitures à couloir central d'une capacité de 249 places, dont 176 en 2ème classe et 73 en première classe :
- 1 voiture mixte2ème classe/fourgon BDmyi de 48 places
- 2 voitures de 2ème classe Bmyi de 64 places chacune
- 1 voitures restaurant WRmyi de 48 places
- 1 voiture 1ère classe/bar ASmyi de 27 places
- 1 voiture de 1ère classe Amyi de 46 places
Pour la réalisation des rames, il a été fait appel à trois constructeurs et principes de fabrication différents :
- Carel et Fouché à Gaillon-Aubevoye avec une rame en acier inoxydable d'une masse à vide de 90,5 t, réalisée sous licence Budd.
- La Compagnie Industrielle de Matériel de Transport de Bordeaux - La Passerelle, dont les voitures étaient en alliage d'aluminium de type Duralinox. Masse à vide : 85,370 t.
- Brissonneau et Lotz à Creil, sous les directives de l'autocariste Chausson, qui a employé de l'acier doux à grand allongement. Masse à vide : 93,160 t.
Gonflés à 9 bars, les "pneus-rails" possédaient des galets de sécurité en cas de crevaison. Si cela se produisait, un système de contrôle électrique signalait l'incident à l'agent
d'accompagnement, qui se trouvait dans le local à bagages. Il devait alors parcourir la rame à la recherche d'un voyant rouge éteint, ce qui lui permettait de trouver la voiture concernée. Les
pneumatiques pouvaient supporter chacun un poids d'une tonne et avaient une durée de vie théorique de 60 000 km. En pratique, ils en effectuaient le double.
Livrée à l'automne 1948, la première rame a été mise en service commercial en janvier 1949, suivie par la seconde au mois de juin suivant et par la troisième en septembre de la même année.
La traction était assurée par les 230 K n° 242, 245, 248, 249, 251, 254, 267, 269, 273, 274 et 276 du dépôt d'Hausbergen, préalablement transformées aux ateliers d'Epernay pour la chauffe au
fioul.
Chaque jour, deux allers - retours Paris - Nancy - Strasbourg étaient assurés avec les trains sur pneus, les 502 km du parcours étant couverts en 5h15min. Mais le succès était au rendez-vous et
la capacité des rames devient vite insuffisante. Dès 1952, elles sont transférées sur la ligne Paris - Mulhouse - Bâle, en remplacement des autorails TAR, envoyés sur le réseau Nord.
Malheureusement, la rame Brissonneau et Lotz déraille sur le viaduc de Nogent-sur-Marne le 21 octobre 1952, ce qui entraîne sa radiation prématurée. Les deux rames restantes roulent jusqu'au 2
juin 1956, date à laquelle elles sont également retirées du service, à cause d'une usure prématurée des différentes pièces et de coûts d'exploitation particulièrement onéreux. Du fait du
roulement sur pneumatiques, la résistance à l'avancement est très forte, ce qui nécessite un effort de traction particulièrement important de la part de la locomotive, d'où une consommation de
carburant très élevée.
L'auteur des photos accompagnant cet article, Jacques BAZIN, avait de la famille en Alsace. Entre 1949 et 1951, il emprunta à plusieurs reprises le train sur pneus. Au cours de la dizaine de
trajets effectués, il n'a déploré qu'un seul retard de 8 minutes, dû à une crevaison. La réparation du pneumatique incriminé avait pris environ 30 minutes. Mais l'équipe de conduite avait ensuite
réussi à rattraper une grande partie du retard.
Jacques BAZIN s'est surtout plaint du confort de roulement particulièrement médiocre, ponctué par de nombreux et intempestifs tressautements. Le pire était la voiture-restaurant dont la cuisine
se trouvait au milieu de la voiture et les deux salles aux extrémités, directement au-dessus des bogies : gare aux plats en sauce !
Seul un bogie a été préservé au Musée des Chemins de Fer de Mulhouse. Pendant de nombreuses années, la caisse d'une voiture de la rame Carel et Fouché, transformée en abri de jardin, était
visible à Romilly-sur-Seine, le long de la ligne Paris - Mulhouse, mais elle a aujourd'hui disparu.
Pierre BAZIN