Le train sur pneus

Paris-Est 1950. Locomotive 230 K. Train sur pneus
Le 24 juillet 1950, la 230 K 251 en gare de Paris-Est avec un train sur pneus à destination de Strasbourg. Cliché Jacques BAZIN

En 1939, les Michelines, autorails dotés de roues avec pneumatiques (pneus-rails), avaient le vent en poupe. Mais leur capacité était très limitée. La toute jeune SNCF a alors décidé de procéder à des essais afin de constituer des rames rapides et légères de six voitures et de les engager sur les trains les plus prestigieux.

Les tests, utilisant des remorques de Michelines dé-motorisées, ont permis de valider le projet qui se présentait sous la forme de voitures d'une masse d'environ 15 tonnes. Mais la Seconde guerre Mondiale intervint et il fallu attendre 1948 pour que le train sur pneus voit enfin le jour.

Trois rames ont été construites. Toutes les voitures, dotées de freins à tambour, avaient une longueur de 23,180 m et étaient équipées de bogies à cinq essieux dont les roues possédaient des pneus-rails fabriqués par Michelin.

Chaque rame comportait six voitures à couloir central d'une capacité de 249 places, dont 176 en 2ème classe et 73 en première classe :

- 1 voiture mixte2ème classe/fourgon BDmyi de 48 places

- 2 voitures de 2ème classe Bmyi de 64 places chacune

- 1 voitures restaurant WRmyi de 48 places

- 1 voiture 1ère classe/bar ASmyi de 27 places

- 1 voiture de 1ère classe Amyi de 46 places

Voiture 1ère classe/bar train sur pneus
Exposition d'une voiture mixte ASmyi 1ère classe/bar en gare de Paris-Invalides le 27 mai 1950. Cliché Jacques BAZIN

Pour la réalisation des rames, il a été fait appel à trois constructeurs et principes de fabrication différents :

- Carel et Fouché à Gaillon-Aubevoye avec une rame en acier inoxydable d'une masse à vide de 90,5 t, réalisée sous licence Budd.

- La Compagnie Industrielle de Matériel de Transport de Bordeaux - La Passerelle, dont les voitures étaient en alliage d'aluminium de type Duralinox. Masse à vide : 85,370 t.

- Brissonneau et Lotz à Creil, sous les directives de l'autocariste Chausson, qui a employé de l'acier doux à grand allongement. Masse à vide : 93,160 t.

Rames sur pneus. Garages de l'Ourcq. 1950
Stationnement aux garages de l'Ourcq, le 17 juin 1950, de deux des trois rames sur pneus avec à gauche la rame Carel et Fouché et à droite la rame de la Compagnie Industrielle de Matériel de Transport. Cliché Jacques BAZIN

Gonflés à 9 bars, les "pneus-rails" possédaient des galets de sécurité en cas de crevaison. Si cela se produisait, un système de contrôle électrique signalait l'incident à l'agent d'accompagnement, qui se trouvait dans le local à bagages. Il devait alors parcourir la rame à la recherche d'un voyant rouge éteint, ce qui lui permettait de trouver la voiture concernée. Les pneumatiques pouvaient supporter chacun un poids d'une tonne et avaient une durée de vie théorique de 60 000 km. En pratique, ils en effectuaient le double.

Bogie train sur pneus. Paris-Invalides. 1950
Bogie à cinq essieux d'une rame sur pneus, présenté lors de l'exposition de Paris-Invalides, le 27 mai 1950. Cliché Jacques BAZIN

Livrée à l'automne 1948, la première rame a été mise en service commercial en janvier 1949, suivie par la seconde au mois de juin suivant et par la troisième en septembre de la même année.

La traction était assurée par les 230 K n° 242, 245, 248, 249, 251, 254, 267, 269, 273, 274 et 276 du dépôt d'Hausbergen, préalablement transformées aux ateliers d'Epernay pour la chauffe au fioul.

Chaque jour, deux allers - retours Paris - Nancy - Strasbourg étaient assurés avec les trains sur pneus, les 502 km du parcours étant couverts en 5h15min. Mais le succès était au rendez-vous et la capacité des rames devient vite insuffisante. Dès 1952, elles sont transférées sur la ligne Paris - Mulhouse - Bâle, en remplacement des autorails TAR, envoyés sur le réseau Nord. Malheureusement, la rame Brissonneau et Lotz déraille sur le viaduc de Nogent-sur-Marne le 21 octobre 1952, ce qui entraîne sa radiation prématurée. Les deux rames restantes roulent jusqu'au 2 juin 1956, date à laquelle elles sont également retirées du service, à cause d'une usure prématurée des différentes pièces et de coûts d'exploitation particulièrement onéreux. Du fait du roulement sur pneumatiques, la résistance à l'avancement est très forte, ce qui nécessite un effort de traction particulièrement important de la part de la locomotive, d'où une consommation de carburant très élevée.

Train sur pneus. Paris-Est. 230 K 267. 16 mars 1949.
Dotée de carénages, la 230 K 267 vient d'entrer en gare de Paris-Est avec le rapide 2 en provenance de Strasbourg le 16 mars 1949. Le trajet Lérouville - Paris, 289 km, a été accompli en 2h56, à la vitesse moyenne de 98,5 km/h. Cliché Jacques BAZIN

L'auteur des photos accompagnant cet article, Jacques BAZIN, avait de la famille en Alsace. Entre 1949 et 1951, il emprunta à plusieurs reprises le train sur pneus. Au cours de la dizaine de trajets effectués, il n'a déploré qu'un seul retard de 8 minutes, dû à une crevaison. La réparation du pneumatique incriminé avait pris environ 30 minutes. Mais l'équipe de conduite avait ensuite réussi à rattraper une grande partie du retard.

Jacques BAZIN s'est surtout plaint du confort de roulement particulièrement médiocre, ponctué par de nombreux et intempestifs tressautements. Le pire était la voiture-restaurant dont la cuisine se trouvait au milieu de la voiture et les deux salles aux extrémités, directement au-dessus des bogies : gare aux plats en sauce !

Vue intérieure d'une voiture ASmyi 1ère classe/bar. Cliché Jacques BAZIN
Vue intérieure d'une voiture ASmyi 1ère classe/bar. Cliché Jacques BAZIN

Seul un bogie a été préservé au Musée des Chemins de Fer de Mulhouse. Pendant de nombreuses années, la caisse d'une voiture de la rame Carel et Fouché, transformée en abri de jardin, était visible à Romilly-sur-Seine, le long de la ligne Paris - Mulhouse, mais elle a aujourd'hui disparu.


Pierre BAZIN

Le 23 juin 1951, le rapide n° 1,a ssuré avec une rame sur pneus, quitte la gare de Bar-le-Duc, en direction de Strasbourg. Cliché Jacques BAZIN
Le 23 juin 1951, le rapide n° 1,a ssuré avec une rame sur pneus, quitte la gare de Bar-le-Duc, en direction de Strasbourg. Cliché Jacques BAZIN